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en remontant la Loire du côté de la Touraine, mais monotone et comme engourdie en s’avançant vers les sables du côté de la mer. À tout prendre, l’horizon est large et beau, mais quel est l’horizon qui ne soit beau quand il est grand, et tous les horizons ne sont-ils pas grands quand on plane sur eux ?

Montez n’importe où, pourvu que vous montiez haut, et vous découvrirez des perspectives démesurées aux paysages les plus plats. Quelle est aussi l’idée qui ne soit longue quand on y court jusqu’au bout, le cœur qui ne paraisse immense quand on y laisse couler la sonde ?

J’ai passé autrefois de bonnes heures dans les clochers d’églises ; appuyé aussi sur le parapet, je regardais les nuages rouler dans le ciel et les corbeaux nichés dans les gargouilles s’envoler avec des cris rauques et de grands battements d’ailes. C’était assez fréquemment, pendant ma rhétorique, ma manière de suivre la classe ; y perdais-je beaucoup, et cela aussi n’était-ce pas du style ?

Une chose fort ordinaire m’a choqué et m’a fait rire, c’est le télégraphe que tout à coup, en me retournant, j’ai aperçu en face sur une tour. Les bras raides de la mécanique se tenaient immobiles, et sur l’échelle qui mène à sa base un moineau sautillait d’échelon en échelon ; placé au-dessus de tout ce qu’on voyait à l’entour, au-dessus de l’église et de la croix qui la termine, cet instrument disgracieux me semblait comme la grimace fantastique du monde moderne.