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quelque bon type corse et non pour goûter la soupe comme les philanthropes. Le geôlier d’Ajaccio était un vigoureux gaillard, capable de résister seul à une émeute ; celui de Bastia est geignard et doucereux ; il se plaint de l’exiguïté de son logement, quoiqu’il ait envahi une bonne partie des prisons ; un de ses fils est borgne et l’autre est attaqué d’une maladie de poitrine ; ce dernier, nous a-t-il dit, est un fort bon sujet qui s’est rendu malade à force de travailler, nous n’avions qu’à demander au proviseur… Nous vîmes en effet étendu dans son lit un maigre jeune homme toussant et crachant, pauvre brute ! que l’ambition dévore et qui se tue pour devenir un savant ! Corse, Corse, gagne plutôt le maquis ! là, tu entendras sous le myrte la chanson des rossignols et tu n’auras pas besoin de dictionnaire pour la comprendre, le vent dans la forêt de Marmano te sifflera un autre rythme que celui de ton Virgile que tu ne comprends guère. Allons, philosophe, jette au feu ton Cousin dont tu voudrais bien être le valet, et va un peu le soir t’étendre sur le sable du golfe de Lucia, à regarder les étoiles. Te voilà devenu professeur de philosophie dans ta ville natale, le maire te fait des compliments dans son discours au jour de la distribution des prix, et tu rougis sans doute devant l’auditoire avec une grâce charmante ; tu as des répétitions au collège et des leçons particulières en ville. Eh bien ! homme vertueux, homme d’esprit, homme que tes frères respectent et que ton père regarde ébahi, tu me parais, à te voir ainsi couché dans ce lit avec ton sot