Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/464

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

clairières nous faisait voir de gros troncs d’arbres qui apparaissaient les uns derrière les autres ; de temps à autre nous enfoncions les pieds dans des sources d’eau vive. Notre guide, qui conduisait les chevaux, s’inquiétait d’ailleurs fort peu de savoir si nous le suivions, tout entier qu’il était à l’expansion lyrique que la boisson avait provoquée en lui. Souvent nous nous arrêtions pour reprendre haleine et nous demander si bientôt enfin nous arrivions. Les châtaignes tombaient sur les feuilles, sur la mousse ou sur nos chapeaux. Au loin, au fond de la vallée, un chien aboyait après la lune qui commençait à se lever un peu, toute rousse et entourée de nuages ; quelques lumières brillaient çà et là dans les montagnes voisines et disparaissaient les unes après les autres. Francesco de plus belle reprenait sa chanson ou continuait d’exciter ses chevaux avec cet ignoble cri qu’on retrouve par toute la Corse pour faire aller les bêtes, et qui ressemble à celui d’un homme qu’on assommerait à coups de massue. Ce n’était pas sans raison que le brave capitaine nous a fait escorter, nos deux voltigeurs en effet avaient reçu de lui l’ordre de frapper notre guide au moindre signe de rébellion, et l’un d’eux me paraissait très disposé à lui tirer un coup de fusil. J’avoue que j’eus un moment d’inconcevable rage, lorsque tout fatigué, mourant de soif et désespéré de rien avoir sous la dent, je lui demandai la gourde qu’on avait remplie le matin à Corte, et que le misérable me répondit froidement que le bouchon en était tombé et que tout