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sur les arêtes saillantes en rebondissaient en paillettes. J’aimais à regarder à gauche la ligne blanche qui bordait la vue et que je savais être l’Italie. Elle s’étendait dans toute la longueur du grand horizon bleu qu’elle contemplait avec une langueur inexprimable. Notre guide nous chantait je ne sais quelle ballata que je n’écoutais pas, laissant buter mon cheval à chaque pierre et tout ébloui, étourdi de tant de soleil, de tant d’images, et de toutes les pensées qui arrivaient les unes sur les autres, sereines et limpides comme des flots sur des flots. Il faisait du vent, un vent tiède qui venait de courir sur les ondes, il arrivait de là-bas, d’au delà de cet horizon, nous apportant vaguement, avec l’odeur de la mer, comme un souvenir de choses que je n’avais pas vues. J’aurais presque pleuré quand je me suis enfoncé de nouveau dans la montagne. Non, ce n’est jamais devant l’océan, devant nos mers du Nord, vertes et furieuses, que les dix mille eussent poussé le cri d’immense espoir dont parle Xénophon ; mais c’est bien devant cette mer-là, quand, avec tout son azur, elle surgit au soleil entre les fentes de rochers gris, que le cœur alors prend une immense volée pour courir sur la cime de ces flots si doux, à ces rivages aimés, où les poètes antiques ont placé toutes les beautés, à ces pays suaves où l’écume, un matin, apporta dans une coquille la Vénus endormie.

Le jour était déjà avancé, et nous n’avions point mangé. De temps à autre nous rencontrions bien