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lieues d’Isolaccio dans la direction de la mer. Le médecin du pays nous y a accompagnés (c’est le même dont j’ai parlé plus haut), il s’appuyait sur une petite canne en jonc très courte et terminée par une longue pointe en fer ; il n’estime les médecins qu’autant qu’ils sont bons philosophes, mot qu’il nous répétait souvent. Cela étonne et fait plaisir à la fois de trouver au milieu des forêts, à trente lieues d’une ville, dans un désert pour ainsi dire et chez des gens qui n’ont jamais quitté leur village, tout le bon sens pratique de ceux qui ont vécu longtemps dans le monde, une finesse rare dans les jugements sur les hommes et sur les choses de la vie. L’esprit des Corses n’a rien de ce qu’on appelle l’esprit français ; il y a en eux un mélange de Montaigne et de Corneille, c’est de la finesse et de l’héroïsme, ils vous disent quelquefois sur la politique et sur les relations humaines des choses antiques et frappées à un coin solennel ; jamais un Corse ne vous ennuiera du récit de ses affaires, ni de sa récolte et de ses troupeaux ; son orgueil, qui est immense, l’empêche de vous entretenir de choses vulgaires.

Le capitaine nous avait parlé d’un de ses neveux retiré au maquis pour homicide et nous avait proposé de nous le faire voir. À la nuit close, et sur les dix heures du soir, il fut introduit dans la maison. Comme la salle où nous avions mangé était pleine d’amis qui étaient venus faire visite après dîner, et celle où avait couché M. Cloquet se trouvant au fond, ce fut donc dans la mienne,