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entre cousins, entre alliés, même à des degrés éloignés. Quand un membre de la famille est insulté, tout le reste est solidaire de sa vengeance ; s’il succombe c’est à eux de le remplacer, de sorte qu’instantanément il se forme une association de cinquante à soixante hommes, tous servant la même cause, gardant le même secret, animés de la même haine.

La femme compte pour peu de chose et on ne la consulte jamais pour prendre mari. Quand un fils a 14 ou 15 ans, son père lui dit qu’il est temps d’être homme, qu’il faut se marier ; il lui choisit lui-même une femme, les deux familles négocient longtemps l’affaire et avec toutes les précautions possibles, le pacte d’alliance se conclut, les noces se font avec pompe, on y chante des chansons guerrières ; puis les enfants arrivent dans le ménage, on leur apprend à tirer le fusil, on leur enseigne un peu de français, ils vont à la chasse et c’est là toute la vie, une vie de paresse, d’orgueil et de grandeur.

Nous avons dîné tard ; le capitaine nous a servis, comme s’il eût été le maître de la maison. Un avoué de Corte, attiré dans le pays par les affaires de la Compagnie Corse, se chauffait au coin de la cheminée et nous a tenu conversation, car notre hôte restait à distance et avait l’air tout humilié de recevoir des personnages. Après le dîner, on m’a conduit dans une pièce délabrée où je devais coucher. Les murs étaient barbouillés de chaux, une petite gravure noire représentant un