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heureux où l’âme aussi est ouverte au soleil comme la campagne et, comme elle, embaume de fleurs cachées que la suprême beauté y fait éclore. On se pénètre de rayons, d’air pur, de pensées suaves et intraduisibles ; tout en vous palpite de joie et bat des ailes avec les éléments, on s’y attache, on respire avec eux, l’essence de la nature animée semble passée en vous dans un hymen exquis, vous souriez au bruit du vent qui fait remuer la cime des arbres, au murmure du flot sur la grève ; vous courez sur les mers avec la brise, quelque chose d’éthéré, de grand, de tendre plane dans la lumière même du soleil et se perd dans une immensité radieuse comme les vapeurs rosées du matin qui remontent vers le ciel.

Nous avons quitté la mer au port de Sagone, vieille ville dont on ne voit même pas les ruines, pour continuer notre route vers Vico, où nous sommes enfin arrivés le soir après dix heures de cheval. Nous avons logé chez un cousin de M. Multedo, grand homme blond et doux, parlant peu et se contentant de répéter souvent le même geste de main. Il s’est vaillamment battu contre les Anglais lorsque ceux-ci ont voulu faire une descente à Sagone ; il se sent tout prêt à recommencer. Il y a en effet dans la Corse une haine profonde pour l’Angleterre et un grand désir de le prouver. Sur la route que nous avons faite pour aller à Vico, des paysans nous arrêtaient.

— Va-t-on se battre, demandaient-ils ?

— C’est possible.