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possible, et regardant le ciel où j’enviais d’être, car il me semblait ne remuer guère, et je pensais le plus que je pouvais afin que les enfantements de l’esprit fassent taire les cris de la chair. Secoué dans le dos par les coups réguliers du piston, en long par le tangage, de côté par le roulis, je n’entendais que le bruit régulier des roues et celui de l’eau repoussée par elles et qui retombait en pluie des deux côtés du bateau ; je ne voyais que le bout du mât, et mon œil fixe et stupide placé dessus en suivait tous les mouvements cadencés sans pouvoir s’en détacher, comme je ne pouvais me détacher non plus de mon banc de douleurs. La pluie survint, il fallut rentrer, se lever pour aller s’étendre dans sa cabine où je devais rester pendant seize heures comme un crachat sur un plancher, fixe et tout gluant.

Le passager se composait de trois ecclésiastiques, d’un ingénieur des ponts et chaussées, d’un jeune médecin corse et d’un receveur des finances et de sa jeune femme qui a eu une agonie de vingt-quatre heures. La nuit vint, on alluma la lampe suspendue aux écoutilles et que le roulis fit remuer et danser toute la nuit ; on dressa la table pour les survivants, après nous avoir fait l’ironique demande de nous y asseoir. Les trois curés et M. Cloquet seuls se mirent à manger. Cela avait quelque chose de triste, et je commençai à m’apitoyer sur mon sort ; humilié déjà de ma position, je l’étais encore plus de voir trois curés boire et manger comme des laïques. J’aurais pris