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n’entendait aucun chant d’ivrogne ; les tavernes du rez-de-chaussée, toutes ouvertes, fermaient la vue de ce qui se passait au dedans par un grand rideau blanc qui tombait depuis le haut jusqu’en bas ; lorsque quelqu’un allait ou venait, on l’entr’ouvrait, on voyait assis, sur des tabourets séparés, trois ou quatre hommes du peuple, les bras nus, tenant des femmes sur leurs genoux.

À Toulon, j’ai revu, au coin d’une rue, encore un de ces drames, mais cette fois en français ; la scène était plus simple : un nain fort laid causait avec une grande fille assez jolie et exerçait sa verve sur les riches et les gens d’esprit, ce qui faisait rire les pauvres et les sots. Pour un homme intelligent qui saurait le provençal ou qui voudrait l’apprendre, ce serait une chose à étudier que ces derniers restes du théâtre roman, où l’on retrouverait peut-être tout à la fois des romanceros espagnols, des canzone des troubadours, des atellanes latines et de la farce italienne du temps de Scaramouche, quand Molière y prit son Médecin barbouillé.

Marseille est une jolie ville, bâtie de grandes maisons qui ont l’air de palais. Le soleil, le grand air du Midi entrent librement dans ses longues rues ; on y sent je ne sais quoi d’oriental, on y marche à l’aise, on respire content, la peau se dilate et hume le soleil comme un grand bain de lumière. Marseille est maintenant ce que devait être la Perse dans l’antiquité, Alexandrie au moyen âge : un capharnaüm, une babel de toutes les nations, où