Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/378

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

500 pieds, sans éprouver le moindre sentiment d’inquiétude, confiance qu’il est difficile d’expliquer et que tout le monde éprouve malgré soi. Quand vous avez passé l’échelle et le pic de Bergun, la montagne s’écarte du gave pour un instant, vous étale une prairie qui embaumait de foin coupé ; elle se resserre bientôt et déploie toutes ses splendeurs tragiques au Chaos. Ainsi nomme-t-on un lieu plein de rochers entassés les uns sur les autres, comme un champ de bataille d’un combat de montagnes où ces cadavres immenses seraient restés, écroulés sans doute un jour d’avalanche ; je ne me rappelle plus quand, mais tout l’effroi de leur chute reste encore dans leur nom de Chaos, dans toute la contrée ; le gave passe à travers et se cabre contre eux sans les ébranler. Tout s’oublie vite quand on arrive dans le cirque de Gavarnie. C’est une enceinte de deux lieues de diamètre, enfermée dans un cercle de montagnes dont tous les sommets sont couverts de neige et du fond de laquelle tombe une cascade. À gauche, la brèche de Roland et la carrière de marbre, et le sol sur lequel on s’avance, et qui de loin semblait uni, monte par une pente si raide qu’il faut s’aider des mains et des genoux pour arriver au pied de la cascade ; la terre glisse sous vos pas, les roches roulent et s’en vont dans le gave, la cascade mugit et vous inonde de sa poussière d’eau.

Le temps était pur, et les masses grises des montagnes du Marboré, bordées de neige, se détachaient dans le bleu du ciel et au-dessus d’elles