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parallèlement au rivage ; mais ne plongeant aucun des deux, que pouvions-nous faire ? Un orage s’annonçait par des éclairs, et les vagues (qu’il ne faut pas dire fortes, car je mentirais) nous empêchaient de voir tout ce qui pouvait saillir sur les flots autour de nous.

— C’est fini, me dit un compagnon, il est noyé !

Nous fîmes alors volte-face, et regagnâmes le rivage. Le trajet me parut plus long que pour aller, et les dernières vagues pleines de mousse nous poussaient vivement sur le sable. Je croyais l’autre homme sauvé, mais tous les soins furent inutiles, il mourut au bout de quelques minutes. Pendant qu’on entourait le noyé, je m’étais réfugié dans une cabane, privé de ma chemise et de mon habit, grelottant et tout trempé d’eau salée. Je finis par les retrouver au bout d’un quart d’heure, ils avaient été déposés dans une baraque où se trouvaient plusieurs pauvres femmes du pays, se lamentant et poussant des cris. Elles me croyaient un de leurs compagnons et leur douleur s’en augmentant, peut-être un peu par politesse, elles répétaient toutes : « ah mon Dieu ! mon Dieu ! la pauvre mère qui les a nourris ! » et c’étaient des exclamations et des battements de mains nouveaux. La grande dame anglaise qui m’avait pris mes hardes m’étourdissait de son caquet et voulait que je fisse une plainte contre les garde-côtes qui ne s’étaient pas trouvés à leur poste ; ce qui me dégoûta assez de sa douleur. On me prêta