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sons seulement. Nous faisons descendre nos chevaux par le chemin des douaniers. — Dîner chez M. Guetier ; promenade le soir (avec eux !) sur la grève ; le lendemain, déjeuner où l’on boit parce qu’il faut boire, et offert parce qu’il avait fallu l’offrir. Mais que c’est triste et bête tout cela ! Comme c’est peu selon le cœur ! Et cette pluie qui tombait et qui a duré toute la journée, comme elle était harmonique, elle, avec le fond de nous !
Honfleur. — Pluie sur les bassins. — Dîner ; je me surpasse dans la composition d’une sauce anglaise. Je retrouve la mine de tous les domestiques que j’avais oubliée, comme le lendemain matin celle de deux canotiers du canot. Reconnaître quelqu’un dont on avait perdu complètement l’idée, c’est retrouver toujours quelque chose de soi-même ; on se dit : tiens, c’est vrai, j’ai eu ça autrefois,… je l’avais perdu, je le regagne. Ah ! Ah !
Dans le canot, curé avec son papier ciré sur son chapeau, froid, malaise ; en vain je tâche de me réchauffer à la chaudière. L’agent comptable de la « Normandie » m’était également sorti de la mémoire ! encore un qui revient ! — La joueuse de harpe et la joueuse de guitare : laideur violente et empoignante de la première ; tout ce que j’ai discerné dans leurs chansons, c’est amour, bonheur, etc. Deux religieuses, près de là, s’en sont allées, sans doute de peur d’être troublées, de se sentir venir à l’esprit des images libidineuses. Ah ! les pauvres filles, ça m’en faisait peu venir, à moi. — Déjeuner. — C’est bizarre, mais je ne me suis pas ennuyé sur notre vapeur.
Entre Caudebec et Duclair (?), je reconnais un endroit, une anfractuosité sur la rive gauche, entre deux mamelons boisés, et je me souviens que, une fois que j’y passai, à un voyage de Pâques, en 1841, avec Caroline, ma mère et Mlle Jane, nous étions là sur le bastingage de gauche causant avec la femme du restaurant et trois jeunes gens qui ont péri au chemin de fer de Meudon. Il faisait froid et était vers 6 heures du soir, au mois d’avril il n’y avait