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son âme aux langueurs de la savane ; de l’un à l’autre, ils s’épanchent leurs mélancolies natives et il épuise le désert comme il avait tari l’amour. Il revient, il parle, et on se tient suspendu à l’enchantement de ce style magnifique, avec sa cambrure royale et sa phrase ondulante, empanachée, drapée, orageuse comme le vent des forêts vierges, colorée comme le cou des colibris, tendre comme les rayons de la lune à travers le trèfle des chapelles.

Il part encore ; il va, remuant de ses pieds la poussière antique ; il s’asseoit aux Thermopyles et crie : Léonidas ! Léonidas ! court autour du tombeau d’Achille, cherche Lacédémone, égrène dans ses mains les caroubiers de Carthage, et, comme le pâtre engourdi qui lève la tête au bruit des caravanes, tous ces grands paysages se réveillent quand il passe dans leurs solitudes.

Tour à tour rappelé, proscrit, comblé d’honneurs, il dînera ensuite à la table des rois, lui qui s’était évanoui de faim dans les rues ; il sera ambassadeur, ministre, essayera de retenir dans ses mains la monarchie qui s’écroule et, au milieu des ruines de ses croyances, assistera enfin à sa propre gloire, comme s’il était déjà compté parmi les morts.

Né sur le déclin d’une société et à l’aurore d’une autre, il est venu pour en être la transition et comme pour en résumer en lui les espérances et les souvenirs. Il a été l’embaumeur du catholicisme et l’acclamateur de la liberté. Homme des