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L’un d’eux relevant les pieds plus haut que les autres et se tenant les mains à la veste du compagnon qui était devant lui, suivait la file en trébuchant. Il était aveugle. Pauvre misérable ! Dieu l’empêche de voir et les hommes lui défendent de parler ! Il avait l’air doux cependant, et sa figure aux jeux fermés souriait sous les chauds rayons du soleil.

[1] Après avoir donné la pièce à notre garde-chiourme, qui nous fit en signe de remerciement une grimace de chat-tigre, nous redescendîmes les escaliers, et cinq minutes après nous étions de retour dans l’intérieur du village où des femmes, assises devant les portes, faisaient des filets sur leurs genoux.

Quand on va à Tombelaine, qui est un rocher à une demi-lieue du Mont Saint-Michel et comme lui placé tout au milieu de la mer, on prend un guide pour éviter les courants. Même aux endroits non dangereux si l’on s’arrête on se sent enfoncer dans le sable qui se met à bouillonner et à monter sur vous ; en dix minutes on en aurait jusqu’au ventre, en une demi-heure jusqu’aux épaules.

Lorsqu’on traverse les courants, l’eau rapide coule entre vos jambes avec la force d’un torrent ; le vertige viendrait si on restait à la regarder. De tous côtés, partout, ce n’est que du sable, des étendues monotones qui se succèdent et s’en-

  1. Inédit, pages 317 à 319.