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Elle s’interrompt par un angle et découvre brusquement le village de Cancale aligné sur un quai de pierres sèches. Là, couché par terre à plat dos sur le sable, le chapeau sur les yeux, les bras étendus en croix, je suis resté une grande heure et demie à chauffer ma guenille au soleil et à faire le lézard. On se sent le corps inerte, engourdi, inanimé, inhérent presque à la terre sur laquelle il se vautre, tandis que l’âme, au contraire, partie bien loin, voltige dans les espaces comme une plume égarée.

Lorsque j’ai relevé la tête, la grève avait disparu, la marée presque subitement était venue la recouvrir, et les barques tout à l’heure immobiles se relevaient maintenant et se remettaient à flot. Sous le roulis des lames longues qui, arrivant l’une par-dessus l’autre comme des inondations successives, accouraient de toute leur vitesse sur cette plage unie où largement elles se développaient sans en finir, les canots pleins de monde se croisaient, se vidaient, revenaient au quai. On allait partir pour la pêche, on crochait les gouvernails, on frappait les tolets, on hissait les voiles ; on voyait les embarcations prendre leur bordée afin de gagner le pied du vent, et s’éloignant les unes des autres chacune choisir sa route et s’enfuir vers le large.

Pendant qu’on attelait nos chevaux pour nous ramener à Saint-Malo, nous jugeâmes convenable de prendre des huîtres et de jeter un dernier coup d’œil aux images. L’hôtesse était une pauvre femme vêtue de noir qui avait perdu son mari la