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Batz, lié par l’étole du saint breton, comme le fut plus tard la gargouille de Rouen par celle de saint Romain.

Qu’ils étaient beaux vraiment ces vieux dragons horrifiques, endentés jusqu’au fond de la gueule, vomissant des flammes, couverts d’écaillés, avec une queue de serpent, des ailes de chauve-souris, des griffes de lion, un corps de cheval, une tête de coq, et retirant au basilic ! Et le chevalier aussi qui les combattait était un rude sire ! Son cheval, d’abord, se cabrait et avait peur, sa lance se brisait en morceaux contre les écailles de la bête, et la fumée de ses naseaux l’aveuglait. Il mettait enfin pied à terre, et après tout un grand jour, l’atteignait sous le ventre d’un coup d’épée, laquelle restait enfoncée jusqu’à la garde. Un sang noir sortait à gros bouillons, puis le peuple reconduisait triomphalement le chevalier qui devenait ensuite roi du pays, et épousait une belle dame.

Mais eux, d’où venaient-ils ? Qui les a faits ? Était-ce le confus souvenir des monstres d’avant le déluge ? Est-ce sur la carcasse des ichtyosaures et des ptéropodes qu’ils furent rêvés jadis, et que l’épouvante des hommes a entendu dans les grands roseaux marcher le bruit de leurs pieds, et leur voix mugir quand le vent s’engouffrait dans les cavernes ? Ne sommes-nous pas d’ailleurs dans le pays des chevaliers de la Table ronde, la contrée des fées, la patrie de Merlin, le berceau mythologique des épopées disparues. Sans doute qu’elles