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leur tournaient la tête vers leurs adversaires et la leur hocquesonnaient avec violence. L’homme maigre surtout travaillait de tout cœur ; il tirait de sa poitrine, par une secousse brutale, un jet de voix rauque, éraillée, féroce, qui inspirait la colère à toute la bande irritée. Aussi sérieux qu’un chef d’orchestre à son pupitre, il absorbait en lui cette harmonie discordante, la dirigeait, la renforçait ; mais quand les dogues étaient déchaînés, et qu’ils s’entredéchiraient tous en hurlant, l’enthousiasme le prenait, il se délectait, ne se reconnaissait plus, il aboyait, applaudissait, se tordait, battait du pied, faisait le geste d’un chien qui attaque, se lançait le corps en avant comme eux, secouait la tête comme eux ; il aurait voulu mordre aussi, qu’on le mordît, être chien, avoir une gueule pour se rouler là dedans, au milieu de la poussière, des cris et du sang ; pour sentir les crocs dans les peaux velues, dans de la chair chaude, pour nager en plein dans ce tourbillon, pour s’y débattre de tout son cœur.

Il y eut un moment critique, quand tous les chiens l’un sur l’autre, tas grouillant de pattes, de reins, de queues et d’oreilles, qui oscillait dans l’arène sans se désunir, allèrent donner contre la balustrade, la cassèrent et menacèrent d’endommager dans leur coin les deux jeunes phénomènes. Leur maître pâlit, fit un bond, et l’associé accourut. C’est là qu’on mordit bien vite les queues, qu’on donna des coups de poing, des coups de pied, qu’on se dépêchait, qu’on allait. Les chiens