Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/248

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle était belle, debout, nue sur le seuil de sa cella dans sa rue de Suburre, sous la torche de résine qui pétillait dans la nuit, quand elle chantait lentement sa complainte campanienne et qu’on entendait sur le Tibre de longs refrains d’orgie.

Elle était belle aussi dans sa vieille maison de la Cité, derrière son vitrage de plomb, entre les étudiants tapageurs et les moines débauchés, quand, sans peur des sergents, on frappait fort sur les tables de chêne les grands pots d’étain, et que les lits vermoulus se cassaient sous le poids des corps.

Elle était belle, accoudée sur un tapis vert et guignant l’or des provinciaux, avec ses hauts talons, sa taille de guêpe, sa perruque à frimas dont la poudre odorante lui tombait sur les épaules, avec une rose de côté, avec une mouche sur la joue.

Elle était belle encore parmi les peaux de bique des cosaques et les uniformes anglais, se poussant dans la foule des hommes et faisant luire sa poitrine sur la marche des maisons de jeu, sous l’étal des orfèvres, à la lueur des cafés, entre la faim et l’argent.

Que pleurez-vous ? Est-ce la monarchie ? sont-ce les croyances, est-ce la noblesse ou le prêtre ? Moi, je regrette la fille de joie.

… Sur le boulevard, un soir encore, je l’ai vue passer, aux feux du gaz, alerte, muette, lançant ses yeux, et glissant sur le trottoir sa semelle traînante. J’ai vu sa figure pâle aux coins des rues et