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entre eux des conférences religieuses, servent la messe, confessent, feraient communier avec plaisir ; c’est un petit séminaire, une aumônerie, il ne manque que le costume pour que l’illusion soit complète.

Si Lacolonge est la tête du bagne, c’est Ambroise qui en est le bras.

Ambroise est un magnifique nègre de près de six pieds de haut et qui eût fait, au xvie siècle, un admirable bravo pour un homme de qualité. Héliogabale devait nourrir chez lui quelque drôle de cette façon, pour s’amuser, en soupant, à le voir étouffer à bras le corps un lion de Numidie, ou assommer à coups de poing les gladiateurs. Il a une peau luisante d’un noir uni, avec un reflet bleu d’acier, une taille mince, vigoureuse comme celle d’un tigre, et des dents si blanches qu’elles en font presque peur.

Roi du bagne de par le droit du muscle, on le redoute, on l’admire ; sa réputation d’hercule lui fait un devoir d’essayer les arrivants, et jusqu’à présent ces épreuves ont toutes tourné à sa gloire. Il ploie des barres de fer sur son genou, lève trois hommes au bout du poing, en renverse huit en écartant les bras, et quotidiennement mange triple portion, car il a un appétit démesuré, des appétits de toute nature, une constitution héroïque. Son mignon est un jeune arabe dont il est jaloux à la fureur et qui lui reste fidèle dans la crainte de mourir.

Nous le vîmes au jardin botanique en train d’ar-