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chette entourant une main blanche. Il y a de plus des faveurs spéciales pour certaines professions, pour certains hommes. Comment ont-ils pu, malgré la loi et la jalousie de leurs camarades, conquérir cette position excentrique qui en fait presque des galériens amateurs et qu’ils gardent cependant comme un fait acquis, sans que personne la leur dispute ? À l’entrée du chantier où l’on construit des canots, vous trouvez une table de dentiste munie de tous les ustensiles de la profession. Sur la muraille, dans un joli cadre vitré, s’alignent des râteliers entrebâillés auprès desquels l’artiste, debout, vous fait sa petite réclame, quand vous passez. Il reste là, toute la journée, dans son établissement, occupé à polir ses outils et à enfiler ses chapelets de molaires. Il y peut, loin de tout gardien, causer à l’aise avec les promeneurs, apprendre des nouvelles du monde médical, exercer son industrie comme un homme patenté. À l’heure qu’il est, il doit éthériser. Un peu plus, il aurait des élèves et ferait des cours. Mais l’homme le mieux posé est le curé Lacolonge. Médiateur entre la chiourme et le banc, le pouvoir s’en sert pour agir sur les galériens qui, de leur côté, s’adressent à lui pour obtenir des grâces. Il habite à part, dans une petite chambre fort propre, a un domestique pour le servir, mange de grands saladiers de fraises de Plougastel, prend son café et lit les journaux.

Messieurs les ecclésiastiques d’ailleurs jouissent d’égards tout particuliers ; ils se réunissent, ont