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server ce qui meurt et pour rappeler ce qui a fui. Chose étrange ! cela est triste et cela n’est pas grand.

Et puis, on dirait que tout a voulu contribuer à lui jeter l’outrage, à ce pauvre Chambord, que le Primatice avait dessiné, que Germain Pilon et Jean Cousin avaient ciselé et sculpté. Bâti par François Ier, à son retour d’Espagne, après l’humiliant traité de Madrid (1526), monument de l’orgueil qui veut s’étourdir lui-même, pour se payer de ses défaites, c’est d’abord Gaston d’Orléans, un prétendant vaincu, qu’on y exile ; puis c’est Louis XIV qui d’un seul étage en fait trois, gâtant ainsi l’admirable escalier double qui allait d’un seul jet, lancé comme une spirale, du sol au faîte. Et enfin, c’est Molière qui y joue pour la première fois le Bourgeois gentilhomme, au deuxième étage, côté qui donne sur la façade, sous ce beau plafond couvert de salamandres et d’ornements peints dont les couleurs s’en vont. Ensuite on l’a donné au maréchal de Saxe ; on l’a donné aux Polignac, on l’a donné à un simple soldat, à Berthier ; on l’a racheté par souscription et on l’a donné au duc de Bordeaux. On l’a donné à tout le monde, comme si personne n’en voulait ou ne pouvait le garder. Il semble n’avoir jamais servi et avoir été toujours trop grand. C’est comme une hôtellerie abandonnée où les voyageurs n’ont pas même laissé leurs noms aux murs. Je n’y ai vu qu’un seul meuble, un jouet d’enfant ; un modèle de parc d’artillerie offert par le colonel Langlois