Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/167

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

arrive, il n’y a personne au logis, la mère est partie dans les tamarins couper des bourrées pour l’hiver, l’enfant est sur la côte à ramasser le varech ou à garder les moutons. Quant au valet de ferme, le plus souvent il n’y en a pas, chaque cultivateur ayant d’ordinaire un petit coin de terrain qu’il égratigne tout seul tant bien que mal et dont il est le maître, l’esclave plutôt ! puisqu’il s’use vainement dessus. L’homme ne pouvant engraisser la terre, la terre ne pouvant nourrir l’homme, pourquoi donc ne la quitte-t-il pas ? pourquoi ne se vend-il pas comme le Suisse ? ne s’exile-t-il point comme l’Alsacien ? pourquoi y demeure-t-il avec un amour si opiniâtre ! qui le sait ? le sait-il lui-même ?

Nulle part donc vous ne rencontrez comme chez nous de ces gros fermiers cossus, ventrus, à la face avinée, à la sacoche bourrée d’argent, qui s’en viennent aux foires de campagne, y font grand bruit, y marchandent longuement, se disputent en criant, se tapent dans la main, braillent dans les cafés en jouant aux dominos, s’emplissent de viandes et d’eau-de-vie, boivent jusqu’à trente demi-tasses en un jour, et ne s’en retournent que bien tard dans la nuit, tout en s’endormant sur leur bidette qui trottine lentement le long du chemin jusqu’à ce qu’elle s’arrête d’elle-même à la barrière de la cour, en reconnaissant la bonne écurie où elle a de la litière jusqu’au ventre. Mais le paysan breton repart à jeun, il eût été trop cher de manger dehors ; il va retrouver sa galette