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triques semblaient les ornières de quelque antique voie d’un autre monde. De place en place, immobiles comme leur fond verdâtre, s’étendaient de grandes flaques d’eau qui étaient aussi limpides, aussi tranquilles, et ne remuaient pas plus qu’au fond du bois, sur son lit de cresson, à l’ombre des saules, la source la plus pure.

Puis de nouveau les rochers se présentaient plus serrés, plus accumulés. D’un côté c’était la mer dont les flots sautaient dans les basses roches ; de l’autre, la côte droite, ardue, infranchissable.

Fatigués, étourdis, nous cherchions une issue. Mais toujours la falaise s’avançait devant nous, et les rochers, étendant à l’infini leurs sombres masses de varechs, faisaient succéder l’une à l’autre leurs têtes inégales qui grandissaient en se multipliant comme des fantômes noirs qui sortaient de dessous terre.

Nous roulions ainsi à l’aventure, quand nous vîmes tout à coup, serpentant en zigzag dans la roche, une valleuse qui nous permettait, comme par une échelle, de regagner la rase campagne.

Quand nous l’eûmes gravie, nous nous trouvâmes sur le plateau qui domine toute la côte de l’île et continuâmes dans la même direction, à travers des champs sans arbres que n’égayait aucune verdure. Il était néanmoins fort doux de n’avoir plus qu’à remuer les pieds et à les pousser devant soi. Un petit bois de pins grêles s’offrit, nous y entrâmes et ayant débouclé le sac qui depuis quatre heures me ballottait aux épaules, nous