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« Ceci est le chef de ***, décédé tel an, tel jour. » Ces têtes n’ont appartenu qu’à des gens d’un certain rang, et l’on passerait pour un mauvais fils, si au bout de sept ans on ne donnait au crâne de ses parents le luxe de ce petit coffre. Quant au reste du corps, on le rejette dans l’ossuaire ; vingt-cinq ans après, on y jette aussi la tête. Il y a quelques années, je ne sais qui voulut abolir cette coutume. Une émeute se fit, elle resta.

Il peut être mal de jouer ainsi avec toutes ces boules rondes qui ont contenu la pensée, avec ces cercles vides où battait l’amour. Toutes ces boîtes le long de l’ossuaire, sur les tombes, dans l’herbe, sur le mur, pêle-mêle, peuvent sembler horribles à plusieurs, ridicules à d’autres ; mais ces bois noirs se pourrissent à mesure que les os qu’ils renferment blanchissent et s’égrènent ; toutes ces têtes vous regardant avec leur nez rongé, leurs orbites creuses et leur front qui luit par place sous la traînée gluante des limaçons ; ces fémurs entassés là comme tous les grands charniers de la Bible ; ces fragments de crânes qui roulent pleins de terre, et où parfois, comme dans un pot de porcelaine, a poussé quelque fleur qui sort par le trou des yeux ; la vulgarité même de ces inscriptions toutes pareilles les unes aux autres, comme le sont entre eux les morts qu’elles désignent ; toute cette pourriture humaine, disposée de cette façon, nous a paru fort belle et nous a procuré un solide et bon spectacle.

Si la poste d’Auray eût été arrivée, nous fus-