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Deux troupes d’hommes se sont avancées, se balançant et hurlant, quelques-uns avec des broches de fer passées dans la bouche, ou des tringles passées dans la poitrine ; et aux deux bouts étaient des oranges. Un grand nègre, la tête portée en avant, et tellement furieux qu’on le tenait à quatre ; il ne savait plus où il était. Des eunuques tombaient sur la foule à grands coups de bâton de palmier pour faire faire place ; on entendait les coups sonner sur les tarbouchs comme sur des balles de laine, ça avait le son régulier et nombreux d’une pluie. Par ce moyen un chemin a été ouvert dans la foule et l’on y a déposé les fidèles en tête-bêche, couchés à plat ventre par terre. Avant que le shériff ne passât, un homme a marché sur l’allée d’hommes pour voir s’ils étaient bien serrés les uns contre les autres et qu’il n’y eût pas d’interstice.

Le shériff en turban vert, pâle, barbe noire, attend quelques moments que la rangée soit bien tassée ; son cheval est tenu à la bouche par deux saïs, et deux hommes sont aux côtés du shériff et le soutiennent lui-même. Cheval alezan foncé, le shériff en gants verts. À la fin ses mains se sont mises à trembler et il s’est presque évanoui sur sa selle, au bout de la promenade. Il y avait, à vue de nez, environ 300 hommes ; le cheval allait par grands mouvements et avec répugnance, donnant des coups de reins sans doute. La foule se répand aussitôt derrière le cheval quand il est passé, et il n’est pas possible de savoir s’il y a quelqu’un de tué ou blessé. Bekir-bey nous a affirmé qu’il n’y avait eu aucun accident.

La veille, nous avions été au couvent des Derviches.