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lucarnes donnant sur la rue et qui ne peuvent se fermer : en face le divan, une grande fenêtre sans châssis ni vitre, à grille de fer, par laquelle on voyait un palmier. Sur un grand divan à gauche, deux femmes accroupies ; sur une sorte de cheminée, une veilleuse qui brûlait et une bouteille de raki. La Triestine est descendue, petite femme, blonde, rougeaude. La première des deux femmes, grosses lèvres, camuse, gaie, brutale « un poco mata signor », nous disait la Triestine ; la seconde, grands yeux noirs, nez régulier, air fatigué et dolent, est sans doute au Caire la maîtresse de quelque Européen. Elle entend deux ou trois mots de français et sait ce que c’est que la croix d’honneur. La Triestine avait une peur violente de la police, et qu’on ne fît du bruit chez elle. Abbas-Pacha, qui aime les hommes, vexe beaucoup les femmes ; on ne peut, dans cette maison publique, ni danser ni faire de la musique. Elle a joué du tarabouk, sur la table, avec ses doigts, pendant que l’autre ayant roulé sa ceinture et l’ayant nouée bas sur ses hanches, dansait ; elle nous a dansé une danse d’Alexandrie qui consiste, comme bras, à porter alternativement le bord de la main au front. Autre danse : bras droits, étendus devant soi, la saignée un peu fléchie, le torse immobile, le bassin fait des trilles. Ablution préalable de ces dames. Une portée de chats s’est dérangée de dessus ma couverture. Hadely n’a pas défait sa veste, elle m’a fait signe qu’elle avait mal à la poitrine.

Effet : elle devant, frou-frou des vêtements, bruit des piastres d’or de sa résille, bruit clair et lent. — Clair de lune. — Elle portait un flambeau.