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baron de Gottbert. Le corridor du premier étage est tapissé des lithographies de Gavarni arrachées au Charivari. Quand les sheiks du Sinaï viennent pour traiter avec les voyageurs, le vêtement du désert frôle sur le mur tout ce que la civilisation envoie ici de plus quintessencié comme parisianisme (Bouvaret est un ancien comédien de province ; c’est lui qui colle ces choses aux lambris) ; les lorettes, étudiants du quartier latin, et bourgeois de Daumier restent immobiles devant le nègre qui va vider les pots de chambre.

Un jour nous rencontrons, derrière l’Hôtel d’Orient, une noce qui passe. Les joueurs de petites timbales sont sur des ânes, des enfants richement vêtus sur des chevaux ; femmes en voile noir (de face, c’est comme ces ronds de papier dans lesquels sautent les écuyers, si ce n’est que c’est noir) poussant le zagarit ; un chameau tout couvert de piastres d’or ; deux lutteurs nus, frottés d’huile et en caleçon de cuir, mais ne luttant nullement, faisant seulement des poses : des hommes se battant avec des sabres de bois et des boucliers ; un danseur, c’était Hassan el-Bilbesi, coiffé et habillé en femme, les cheveux nattés en bandeau, veste brodée, sourcils noirs peints, très laid, piastres d’or tombant sur le dos ; autour du corps, en baudrier, une chaîne de larges amulettes d’or, carrées ; il joue des crotales ; torsions de ventre et de hanches splendides, il fait rouler son ventre comme un flot ; grand salut final où ses pantalons se sont gonflés, répandus.

Petite rue derrière l’Hôtel d’Orient. On nous fait monter dans une grande salle. Le divan avance sur la rue ; des deux côtés du divan, de petites