… Il y a vingt ou trente ans, de Cinq-Mars à Colomba, le roman français, toutes réserves faites sur sa moralité et ses tendances, était dans une période de splendeur : aujourd’hui, je le vois descendre à Germaine, tomber à Madame Bovary, et la décadence me semble manifeste…
C’est à ce point de vue que je crois pouvoir dire : M. About, c’est la bourgeoisie, M. Flaubert, c’est la démocratie dans le roman…
Rien ne lui a manqué, pas même l’apostille d’un académicien[1], qui depuis longtemps ne s’occupe plus que des morts, mais qui, dans les occasions importantes, sort de sa nécropole afin de constater les grandes naissances littéraires, et, pour les rendre plus authentiques, les enregistre dans le Moniteur…
Nous croyons pouvoir le définir en quelques mots : Madame Bovary, c’est l’exaltation maladive des sens et de l’imagination dans la démocratie mécontente…
L’auteur a si bien réussi, — et on l’en a loué comme d’un signe de force, — à rendre son œuvre impersonnelle, qu’on ne sait pas, après avoir lu, de quel côté il penche. Il est aussi dur pour le voltairien de pharmacie…
Il y a trente ans, un écrivain célèbre a défini le romantisme : « le libéralisme en littérature ». — Nous disons, nous, que le réalisme n’est et ne peut être que la démocratie littéraire, et Madame Bovary nous sert de preuve.
… J’ai parlé de moralité tout à l’heure ; ce livre est un des plus immoraux que je connaisse…
À part la somme d’études qu’il représente, ce livre est fait de réminiscences, à la façon de certaines comédies modernes com-
- ↑ M. Sainte-Beuve.