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tombent sur l’amour, étant la plus froide et la plus déracinante.

Elle resta d’abord quelques minutes à le regarder.

— Tu ne les as pas !

Elle répéta plusieurs fois :

— Tu ne les as pas !… J’aurais dû m’épargner cette dernière honte. Tu ne m’as jamais aimée ! tu ne vaux pas mieux que les autres !

Elle se trahissait, elle se perdait.

Rodolphe l’interrompit, affirmant qu’il se trouvait « gêné » lui-même.

— Ah ! je te plains ! dit Emma. Oui, considérablement !…

Et, arrêtant ses yeux sur une carabine damasquinée qui brillait dans la panoplie :

— Mais, lorsqu’on est si pauvre, on ne met pas d’argent à la crosse de son fusil ! On n’achète pas une pendule avec des incrustations d’écaille ! continuait-elle en montrant l’horloge de Boulle ; ni des sifflets de vermeil pour ses fouets — elle les touchait ! — ni des breloques pour sa montre ! Oh ! rien ne lui manque ! jusqu’à un porte-liqueurs dans sa chambre ; car tu t’aimes, tu vis bien, tu as un château, des fermes, des bois ; tu chasses à courre, tu voyages à Paris… Eh ! quand ce ne serait que cela, s’écria-t-elle en prenant sur la cheminée ses boutons de manchettes, que la moindre de ces niaiseries ! on en peut faire de l’argent !… Oh ! je n’en veux pas ! garde-les !

Et elle lança bien loin les deux boutons, dont la chaîne d’or se rompit en cognant contre la muraille.

— Mais, moi, je t’aurais tout donné, j’aurais tout vendu, j’aurais travaillé de mes mains, j’au-