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voisin, ou bien le bras passé dans la courroie, tout en oscillant régulièrement au branle de la voiture ; et le reflet de la lanterne qui se balançait en dehors, sur la croupe des limoniers, pénétrant dans l’intérieur par les rideaux de calicot chocolat, posait des ombres sanguinolentes sur tous ces individus immobiles. Emma, ivre de tristesse, grelottait sous ses vêtements ; et se sentait de plus en plus froid aux pieds, avec la mort dans l’âme.

Charles, à la maison, l’attendait ; l’Hirondelle était toujours en retard le jeudi. Madame arrivait enfin ! à peine si elle embrassait la petite. Le dîner n’était pas prêt, n’importe ! elle excusait la cuisinière. Tout maintenant semblait permis à cette fille.

Souvent son mari, remarquant sa pâleur, lui demandait si elle ne se trouvait point malade.

— Non, disait Emma.

— Mais, répliquait-il, tu es toute drôle ce soir ?

— Eh ! ce n’est rien ! ce n’est rien !

Il y avait même des jours où, à peine rentrée, elle montait dans sa chambre ; et Justin, qui se trouvait là, circulait à pas muets, plus ingénieux à la servir qu’une excellente camériste. Il plaçait les allumettes, le bougeoir, un livre, disposait sa camisole, ouvrait les draps.

— Allons, disait-elle, c’est bien, va-t’en !

Car il restait debout, les mains pendantes et les yeux ouverts, comme enlacé dans les fils innombrables d’une rêverie soudaine.

La journée du lendemain était affreuse, et les suivantes étaient plus intolérables encore par l’impatience qu’avait Emma de ressaisir son bonheur,