Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/297

Cette page a été validée par deux contributeurs.

gondole, ils se balanceraient en hamac ; et leur existence serait facile et large comme leurs vêtements de soie, toute chaude et étoilée comme les nuits douces qu’ils contempleraient. Cependant, sur l’immensité de cet avenir qu’elle se faisait apparaître, rien de particulier ne surgissait ; les jours, tous magnifiques, se ressemblaient comme des flots ; et cela se balançait à l’horizon, infini, harmonieux, bleuâtre et couvert de soleil. Mais l’enfant se mettait à tousser dans son berceau, ou bien Bovary ronflait plus fort, et Emma ne s’endormait que le matin, quand l’aube blanchissait les carreaux et que déjà le petit Justin, sur la place, ouvrait les auvents de la pharmacie.

Elle avait fait venir M. Lheureux et lui avait dit :

— J’aurais besoin d’un manteau, un grand manteau, à long collet, doublé.

— Vous partez en voyage ? demanda-t-il.

— Non ! mais…, n’importe, je compte sur vous, n’est-ce pas ? et vivement !

Il s’inclina.

— Il me faudrait encore, reprit-elle, une caisse…, pas trop lourde…, commode.

— Oui, oui, j’entends, de quatre-vingt-douze centimètres environ, sur cinquante, comme on les fait à présent.

— Avec un sac de nuit.

Décidément, pensa Lheureux, il y a du grabuge là-dessous.

— Et tenez, dit Mme Bovary, en tirant sa montre de sa ceinture, prenez cela ; vous vous payerez dessus.

Mais le marchand s’écria qu’elle avait tort ; ils se