Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/263

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tesse de bouche. Comme on est à plaindre avec tous ces brigands-là ! Du reste, c’était aussi un malhonnête.

« J’ai appris d’un colporteur qui, en voyageant cet hiver par votre pays, s’est fait arracher une dent, que Bovary travaillait toujours dur. Ça ne m’étonne pas, et il m’a montré sa dent ; nous avons pris un café ensemble. Je lui ai demandé s’il t’avait vue, il m’a dit que non, mais qu’il avait vu dans l’écurie deux animaux, d’où je conclus que le métier roule. Tant mieux, mes chers enfants, et que le bon Dieu vous envoie tout le bonheur imaginable.

« Il me fait deuil de ne pas connaître encore ma bien-aimée petite-fille Berthe Bovary. J’ai planté pour elle, dans le jardin, sous ta chambre, un prunier de prunes d’avoine, et je ne veux pas qu’on y touche, si ce n’est pour lui faire plus tard des compotes, que je garderai dans l’armoire, à son intention, quand elle viendra.

« Adieu, mes chers enfants. Je t’embrasse, ma fille, vous aussi, mon gendre, et la petite, sur les deux joues.

« Je suis, avec bien des compliments,
« Votre tendre père,
« Théodore Rouault. »

Elle resta quelques minutes à tenir entre ses doigts ce gros papier. Les fautes d’orthographe s’y enlaçaient les unes aux autres, et Emma poursuivait la pensée douce qui caquetait tout au travers comme une poule à demi cachée dans une haie d’épines. On avait séché l’écriture avec les cendres du foyer, car un peu de poussière grise glissa de