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la tentation de saint antoine

Elle le suivait attentive ; il s’arrêta.

La poitrine d’Ève battait, la queue du serpent se tordait, un lotus s’ouvrit, les dattes des palmiers mûrirent. Elle tendit la main.

Il était bon, le fruit superbe. Elle en ramassa l’écorce pour s’en parfumer la poitrine.

S’ils en avaient goûté davantage, ils seraient dieux maintenant, selon la promesse du tentateur.

Sois adoré, grand serpent noir qui as des taches d’or comme le ciel a des étoiles ! beau serpent que chérissent les filles d’Ève ! Au grattement de l’ongle sur la corde tendue, éveille-toi ! Au ronflement du roseau creux, éveille-toi ! Pousse tes anneaux ! Allons ! allons ! et viens sur nos autels lécher les pains eucharistiques que nous offrons au Seigneur.


Les Ophites enferment saint Antoine dans le cercle du serpent.
Il saute par-dessus à pieds joints. Tout disparaît.


ANTOINE seul, lentement.

Voilà bien la plus exécrable abomination qu’on puisse jamais concevoir !

Pourquoi, d’ailleurs, le fils de Dieu aurait-il choisi, entre toutes, la figure de cette froide bête, au crâne plat qui semble garder, dans le mutisme de sa forme sinueuse, le mystère du mal ?… Non ! non, il ne l’aurait pas voulu, lui qui était tout amour et sacrifice. « Prenez et mangez, dit-il, ceci est mon corps, et prenez et buvez, dit-il… »


Une outre tombe aux pieds de saint Antoine.