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XXXV
préface

dieux défilent devant le solitaire pour témoigner de leur néant. Jésus lui-même succombe sous le faix de sa croix. L’avènement de l’Antéchrist est proche. Est-ce la fin ?… Non ! Le soleil réapparaît tout à coup, dissipant les ténèbres hallucinatoires de la nuit. La Vérité pure resplendit dans le cœur de l’ascète comme la lumière matinale dans ses yeux… Le Diable, cependant, ne s’avoue point vaincu : « Je reviendrai ! » — dit-il à l’ermite ; — et, tandis que celui-ci s’agenouille pour rendre grâces à Dieu, la toile tombe sur un ricanement satanique qui se perd dans le lointain…


Telle est, dans son développement primitif, cette œuvre inégale et puissante. Il n’est pas bien sûr qu’elle recueille aujourd’hui plus de sympathies qu’en 1849 ou en 1874. Le bon Flaubert l’avouait lui-même, non sans un certain orgueil : « J’ai le don — disait-il — d’ahurir la critique. »

Et pourtant, ce premier Saint Antoine est peut-être l’expression la plus profonde et la plus parfaite que le pur romantisme ait laissée de lui-même. Le mal du siècle atteint là son paroxysme. Ni les Hugo, ni les Lamartine, ni même les Vigny et les Baudelaire ne sont descendus aussi avant dans le doute et le désespoir et ils n’en ont point fourni des raisons aussi fortement déduites. Si même on