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XXIII
préface

amour du faux et du clinquant, où il découvre on ne sait quelle poésie dérisoire et navrante : « Les perruques sont aussi gentilles que les chevelures… les maillots roses valent les cuisses blanches… les appas de coton excitent à l’adultère !… » Et il est tout près de penser que l’écrivain doit être une espèce de saltimbanque affublé d’oripeaux et tout chatoyant de paillettes, qui gesticule et qui braille devant une baraque de foire. La souffrance elle-même doit se maquiller et grossir ses traits, se draper et prendre des poses théâtrales, lorsqu’elle se montre en public : « Ô poète, cache ta douleur sous des phrases d’une mélancolie pompeuse, comme les paysans de la Thébaïde qui bouchent les trous de leurs cabanes avec des planches de cercueils peints[1] ! »

Quelle contradiction déconcertante ! L’insincérité dans l’art élevée à la hauteur d’un dogme par un homme qui fut la sincérité et la probité mêmes dans son œuvre comme dans sa vie ! Flaubert a grossi ce paradoxe à plaisir. Mais qui ne sent qu’il y a là tout de même une part de vérité ? Paillons et pierres fausses ne font que souligner, plus lamentablement que le luxe véritable, la grotesque

  1. Ces lignes ne figurent point dans les manuscrits. Nous les avons trouvées sur une chemise contenant des brouillons du Saint Antoine.