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LA TENTATION DE SAINT ANTOINE
à danser tout autour en jouant des crotales ; — un autre, agenouillé devant la boîte, bat du tambourin, et le plus vieux de la bande commence d’une voix nasillarde :
L’ARCHI-GALLE

Voilà la Bonne Déesse ! l’Idéenne des montagnes ! la Grande Mère de Syrie ! Approchez, braves gens ! Elle est assise entre deux lions, porte sur la tête une couronne de tours et procure beaucoup de biens à tous ceux qui la voient.

C’est nous qui la promenons dans les campagnes, sous les feux du soleil, pendant les pluies d’hiver, par beau et mauvais temps. Elle gravit les défilés, elle glisse sur les pelouses, elle traverse les ruisseaux. Souvent, faute de gîte, nous couchons en plein air et nous n’avons pas tous les jours de table bien servie. Des voleurs habitent les bois, les bêtes féroces hurlent effroyablement dans leurs cavernes, il y a des chemins impraticables et pleins de précipices !… La voilà ! la voilà !

Ils ôtent la couverture de laine et l’on voit une boîte de sycomore incrustée de petits cailloux.

Plus grande que les cèdres, elle plane dans l’éther bleu ; plus vaste que le vent, elle entoure le monde. Son souffle s’exhale par les naseaux des panthères, par la feuille des plantes, par la sueur des corps. Ses pleurs d’argent arrosent les prairies, son sourire est la lumière et c’est le lait de sa poitrine qui a blanchi la lune. Elle fait couler