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LA TENTATION DE SAINT ANTOINE

ma lèvre, je souffrais à l’estomac, et je me tordais dans la solitude, en appelant quelqu’un.

Ma force m’étouffe ! C’est le sang qui me gêne ! j’ai besoin de bains tièdes et qu’on me donne à boire de l’eau glacée. Je veux m’asseoir enfin sur des coussins, dormir pendant le jour et me faire la barbe. La reine se couchera sur ma peau de lion, moi je passerai sa robe et filerai la quenouille, j’assortirai les laines, j’aurai les mains blanches comme une femme. Je sens des langueurs… donnez-moi donc… donnez-moi…

LA MORT

Passe ! passe !

Arrive sur des roulettes un grand catafalque noir, garni de flambeaux du haut en bas. Son dais étoilé de lames d’argent, et soutenu par quatre colonnes d’ordre salomonique où s’enroule une vigne d’or, abrite un lit de parade recouvert de pourpre et dont le chevet triangulaire supporte des tablettes chargées de parfums qui brûlent dans des poteries de couleur. On distingue sur le lit une figure d’homme en cire, couchée tout à plat comme un cadavre. Autour du lit sont alternativement rangées de petites corbeilles en filigrane d’argent et des urnes d’albâtre de forme ovale ; il y a, dans les corbeilles, des pieds de laitues, dans les urnes une pommade rose.


Des femmes suivent le catafalque d’un air inquiet. Leurs chevelures dénouées tombent le long de leur corps comme des voiles ; — de la main gauche elles ramènent sur leur sein les plis de leurs robes traînantes, et tiennent dans la droite de gros bouquets ou des fioles de verre pleines d’huile.

Elles se rapprochent du catafalque, elles disent :