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LA TENTATION DE SAINT ANTOINE

J’en vois venir qui sont pâles pour satisfaire la douleur des peuples ennuyés. Ils arrivent des pays malsains, couverts de haillons et poussant des sanglots. Moi je ne suis pas, comme eux, né pour vivre sous des ciels froids, avec des langues barbares, en des temples sans statues. Attaché par les pieds au sol antique, je m’y dessécherai sans en sortir. Je n’ai même point bougé, quand l’empereur Caïus voulait m’avoir, et les architectes entendirent éclater, dans mon socle, un grand rire, aux efforts qu’ils faisaient.

Tout entier pourtant, je ne descendrai pas dans le Tartare. Quelque chose de moi restera sur la terre. Ceux en effet que pénètre l’Idée, qui comprennent l’Ordre et chérissent le Grand, ceux-là, de quelque dieu qu’ils descendent, seront toujours les fils de Jupiter.

JUNON, la couronne en tête, avec des bottines d’or à pointes recourbées, couverte d’un voile semé d’étoiles d’argent, portant une grenade dans une main et de l’autre un sceptre surmonté d’un coucou.

Où vas-tu ? Arrête-toi ! Qu’y a-t-il donc ? Encore un amour, sans doute ? insensé qui perd sa force et qui ne sait pas que les mortels s’enflent d’orgueil, à découvrir chaque matin, sur leur oreiller, les cheveux de Jupiter !

Notre vie pourtant était si douce, dans l’équilibre obligé de nos discordes et de nos amours. Diverse et magnifique, elle demeurait immuable