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grande ouverte la placide harmonie du peuple des Hellènes. Un soleil chaud brillait sur le frontispice de mes temples blancs, forêt de colonnes où, comme une brise de l’Olympe, circulait un souffle sublime.

Les tribus éparses autour de moi faisaient un peuple. Toutes les races royales me comptaient pour leur aïeul et tous les maîtres de maison étaient autant de Jupiters à leur foyer. On m’adorait sous tous les noms, depuis le Scarabée jusqu’au Porte-Foudre ! J’avais passé par bien des formes, j’avais eu beaucoup d’amours. Taureau, cygne, pluie d’or, j’avais visité la nature, et, se pénétrant de moi, elle se mettait à devenir divine, sans que je cessasse d’être dieu… Ô Phidias, tu m’avais créé si beau que ceux qui mouraient sans m’avoir vu se croyaient maudits. Tu avais pris, pour me faire, des matières exquises, l’or, le cèdre, l’ivoire, l’ébène, les pierreries, richesses qui disparaissaient dans la beauté, comme les éléments d’une nature dans la splendeur d’un ensemble. Par ma poitrine respirait la Vie. J’avais la Victoire sur la main, la Pensée dans les yeux, et, des deux côtés de ma tête, retombait ma chevelure comme la végétation libre de ce monde idéal. J’étais si grand que je frôlais mon crâne aux poutres de la toiture… Ah ! fils de Charmidès, l’humanité, n’est-ce pas ? ne pouvait monter plus haut ! Dans la barrière bleue de Panœnus tu as enfermé pour toujours son plus sublime effort, et c’est aux dieux maintenant à descendre vers elle.