Page:Flaubert - La Première Tentation de Saint Antoine, éd. Bertrand, 1908.djvu/233

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
187
première version
les trous de ses yeux. Puis l’idole de Soumenat, de quatre cents palmes de hauteur, toute en fer, et qui se tenait suspendue à des murs d’aimant. Sa taille trop haute se renversant craque et se brise d’elle-même. Puis une idole nègre qui, sous un feuillage d’or, sourit d’un air stupide. Posée sur le pied gauche, dans l’attitude d’un homme qui danse, elle porte à son cou un collier de fleurs rouges et elle souffle toujours la même note dans un bambou creux. Puis l’idole bleue de la Bactriane incrustée de nacre…

Plus vite ! plus vite !

Puis l’idole de Tartarie, statue d’homme en agate verte qui, dans sa main d’argent, tient sept flèches sans plumes.

Allons donc !

Puis les trois cent soixante idoles des Arabes, correspondant aux jours de l’année, qui vont grandissant de taille et diminuant.

Passez ! passez !

Puis l’idole des Gangarides, en maroquin jaune, assise sur ses jambes, la tête rase, le doigt levé. Elle se déchire en pièces sous les coups de la Mort, et l’étoupe de ses membres voltige de tous côtés. Secouant dans ses mains les longues guides d’or qui retiennent ses soixante-trois chevaux à crinière blanche, assis sur un trône de cristal et sous un pavillon de perles à franges de saphir, arrive le Gange, traînant dans un chariot d’ivoire tous ses dieux. Il a une tête de taureau avec des cornes de bélier et sa robe claire disparaît sous des fleurs de pipalas. Les franges du pavillon s’entre-choquent, les crinières des chevaux frissonnent et l’immense char, supporté par deux roues, bascule, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre.