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LA TENTATION DE SAINT ANTOINE
Alors on entend une grande clameur, et l’on voit à l’horizon

passer des formes confuses, plus insaisissables que des fumées, puis des pierres, des peaux de bêtes, des fragments de métal, des morceaux de bois, et un grand arbre touffu qui marche tout droit sur ses racines : un bracelet d’or entoure son tronc rugueux. Des chapelets, des coquilles et des médailles sont suspendus à ses rameaux. Des peuples, au front déprimé, se traînent sur les genoux en lui envoyant des baisers.
La Mort lève le bras et, d’un coup de fouet, frappe le grand arbre : il disparaît.
Puis, sur des traîneaux qui glissent, passent DES IDOLES, noires, blanches, vertes, violettes, faites de bois, d’argent, de cuivre, de pierre, de marbre, de paille et d’argile, d’ardoises et d’écailles de poisson. Elles ont de gros yeux, de grosses narines, des étendards fichés dans le ventre, des bras qui traînent, des phallus monstrueux leur dépassant la tête. Le jus des viandes coule dans leurs barbes, elles suintent l’huile des sacrifices, et, de leurs lèvres entr’ouvertes, s’échappent des tourbillons d’encens.

Elles bégaient comme si elles voulaient parler :

Bâ, — bâ, — bâ, — bâh !

LA MORT, les frappant.

À d’autres !

Alors arrivent à la fois les cinq idoles d’avant le déluge : Sawa à figure de femme, Yaghüth à figure de lièvre, Yank à figure de cheval, Nasr à figure d’aigle, Waad à figure d’homme, ruisselantes d’eau de mer et avec des varechs comme des chevelures qui leur ont poussé sur la tête. La mort fait claquer son fouet : elles s’abattent.


Passent ensuite la grande idole de Sérandib toute couverte d’escarboucles. Elle a des nids d’hirondelles dans