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LA TENTATION DE SAINT ANTOINE

recouvre le genre humain ! j’en embarrasse tous ses mouvements ! Mon squelette craque entre ses bras dans les étreintes de l’amour, et le dernier terme de sa joie, c’est d’en vouloir mourir.

Mais LA LUXURE passe sa tête rieuse sur l’épaule de la Mort, où le fil de son collier se brise ; — et les grosses perles arrachées coulent une à une dans les plis du linceul. Elle dit :

Qu’importe ! je fais pousser des fleurs sur les tombeaux, et l’universalité des choses tourbillonne dans mon amour, comme de la poussière au soleil !

Antoine tressaille ; elle se rapproche de lui, et, le touchant à l’épaule, légèrement :

Vois-tu là-bas ce petit sentier, dans les sables ? Il te conduira jusqu’à la porte des villes, qui sont pleines de femmes. Je te donnerai la plus belle, une vierge, — tu la corrompras et elle t’adorera comme un Dieu, dans l’ébahissement de sa chair vaincue. Cours donc ! voilà ses vêtements qui s’envolent, — et, tout étalée parmi des coussins d’écarlate, elle lève en l’air ses deux bras nus, pour t’étreindre sur son cœur.

LA MORT

Regarde plus près, au pied de la colline, ce grand euphorbe ? Brise ses rameaux et suce tes