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première version
LE DIABLE

En soi ! Car, si avant que tu remontes dans les causes, de si loin que tu tires les genèses, il faudra toujours que tu en viennes à la fin à une cause première, à un principe antérieur, à un Dieu incréé. Mais l’abstraire de la Création, afin de mieux expliquer cette création, est-ce l’expliquer davantage ? Et il reste maintenant aussi incompréhensible hors d’elle, que la Création tout à l’heure l’était sans lui.

La mélodie d’une lyre, ce n’est pas l’air mis en mouvement, ni la vibration des cordes, ni le son des notes : elle résulte de tout cela et elle le cause. Tu ne sépareras pas plus la mélodie de la lyre de ses cordes ni de ses notes que tu ne disjoindras le créateur de la créature, le fini de l’infini, l’attribut de la substance. La mélodie se fait en vertu d’un ordre qui est en elle… d’où elle n’est pas libre. Dieu existe en vertu de lui-même, en dehors de quoi il ne peut être, et alors il n’est pas libre.

ANTOINE

Pas libre, le Tout-Puissant ! lui qui est le maître !

LE DIABLE, ricanant.

Pourrait-il s’anéantir ?… Peut-il faire qu’autre chose que lui soit Dieu, ou devenir autre chose ?