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peuples qui montent la colline avec des fardeaux sur l’épaule. Nous dormirions sur des duvets plus mous que des nuées, nous boirions des boissons froides dans des écorces de fruits, et nous regarderions le soleil à travers des émeraudes ! Viens !

Le Simorg-Anka fait tourner comme des roues les yeux scintillants de sa queue, et la reine de Saba soupire :

Mais je meurs ! je meurs !

Antoine baisse la tête.

Ah ! tu me dédaignes ! Adieu !

Elle s’éloigne en pleurant. Le cortège se met en marche ; Antoine la regarde ; elle s’arrête.

Bien sûr ?… Une femme si belle ! qui a un bouquet de poil entre les seins !

Elle rit. Le singe qui tient le bout de sa robe la soulève à bras tendus, en bondissant.

Tu te repentiras, bel ermite ! tu gémiras, tu t’ennuieras. Mais je m’en moque ! là ! là ! là !… Oh ! oh !… Oh ! oh !

Elle s’en va, la figure dans les mains, en sautillant à cloche-pied. Les esclaves défilent devant saint Antoine, les chevaux, les dromadaires, l’éléphant, les suivantes, les mulets qu’on a rechargés, les négrillons, le singe, les courriers verts tenant à la main leur lys cassé, et la reine de Saba s’éloigne, en poussant une sorte de hoquet convulsif qui ressemble à des sanglots ou à un ricanement.