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première version
Un éléphant blanc, caparaçonné d’un filet d’or, accourt en secouant le bouquet de plumes d’autruches attaché à son frontal. Sur son dos, parmi des coussins de laine bleue, jambes croisées, paupières à demi closes et se balançant la tête, il y a une femme si splendidement vêtue qu’elle envoie des rayons tout autour d’elle, et derrière, à la croupe, debout sur un pied, un nègre en bottines rouges, avec des bracelets de corail, tient à sa main une grande feuille ronde, dont il l’évente, en souriant.


La foule se prosterne, l’éléphant plie les genoux, et la reine de Saba, se laissant glisser de son épaule, descend sur les tapis et s’avance vers saint Antoine.
Sa robe en brocart d’or, divisée régulièrement par des falbalas de perles, de jais et de saphirs, lui serre la taille dans un corsage étroit rehaussé d’applications de couleur qui représentent les douze signes du zodiaque. Elle a des patins très hauts dont l’un est noir et semé d’étoiles d’argent, avec un croissant de lune, et l’autre, qui est blanc, est couvert de gouttelettes d’or, avec un soleil au milieu.
Ses larges manches, garnies d’émeraudes et de plumes d’oiseaux, laissent voir à nu son petit bras rond orné, au poignet, d’un bracelet d’ébène ; et ses mains, chargées de bagues, se terminent par des ongles si pointus, que le bout de ses doigts ressemble presque à des aiguilles. Une chaîne d’or plate lui passant sous le menton monte le long de ses joues, s’enroule en spirale autour de sa haute coiffure, poudrée de poudre bleue, puis, redescendant, lui effleure les épaules et vient s’attacher sur la poitrine à un petit scorpion de diamant qui allonge la langue entre ses seins.
Deux grosses perles blondes tirent ses oreilles. Le bord de ses paupières est peint en noir. — Elle a sur la pommette gauche une tache brune, et elle respire en ouvrant la bouche, comme si son corset la gênait.
Elle secoue, tout en marchant, un parasol vert à manche d’ivoire, entouré de sonnettes vermeilles, — et douze négrillons crépus portent la longue queue de sa belle robe, dont un singe tient l’extrêmité qu’il soulève de

temps à autre, pour regarder dessous.