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LA TENTATION DE SAINT ANTOINE
monde se lève et l’on n’aperçoit plus que des dos qui

fuient…

Antoine se retrouve devant sa cabane. Il fait grand jour.

Comment !… le soleil brille ! — et tout à l’heure j’étais dans la nuit ! Voilà bien ma cabane cependant, c’est bien moi. (Il se palpe.) Voilà mon corps ! voilà mes mains ! Mon cœur palpite ; et le cochon est toujours là… vautré sur le sable avec l’écume à la bouche. Voyons ! voyons ! remettons-nous ! Je suis seul !… Non ! personne n’est venu ; cela est sûr !

Mais il voit en face de lui trois cavaliers montés sur des

onagres, vêtus de robes vertes, tenant des lys à la main et se ressemblant tous de figure. Ils ne bougent point, — les onagres non plus, qui, abaissant leurs oreilles longues, et, tendant le cou, montrent leurs gencives, en écartant les lèvres.
Antoine se retourne ; et il voit trois autres cavaliers semblables, sur de pareils onagres, dans la même posture.
Il se recule. Alors les onagres, tous à la fois, font un pas et frottent leur museau contre lui, en essayant de mordre son vêtement.
Un bruit de tamtam et de clochettes. Une grande clameur, des voix qui crient : « Par ici !… par ici !… c’est là ! » — et des étendards paraissent entre les fentes de la montagne, avec des têtes de chameaux en licol de soie rouge, des mulets chargés de bagages, et des femmes couvertes de voiles jaunes, montées à califourchon sur des chevaux pie.

Les bêtes haletantes se couchent. Les esclaves se précipitent sur les ballots, pour en dénouer les cordes avec leurs dents. On déroule des tapis bariolés, on étale par terre des choses qui brillent.