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LA TENTATION DE SAINT ANTOINE
LA COURTISANE

Mets encore tout ce que j’ai de nard, de rhodinum, de safran, — et d’huiles d’amandes surtout ; car là-bas, m’a-t-on dit, elles sont mauvaises. Puisqu’il m’aime depuis ce jour où il s’aperçut, au réveil, que sa barbe sentait bon, pour avoir dormi la figure sur ma poitrine, je dois faire que mon corps transpire de molles odeurs.

LAMPITO

Il est donc bien riche, ô maîtresse, ce roi de Pergame ?

LA COURTISANE

Oui, Lampito, il est riche ! et je ne veux pas, quand je serai vieille, mendier chez mes amants d’autrefois, ou devenir la complaisante des matelots. Dans cinq ans, dans dix ans, j’aurai beaucoup d’argent, Lampito ! Je reviendrai, — et si je ne puis, comme Lamia, bâtir un portique à Sicyone, ou, comme Cleiné la joueuse de flûte, peupler le Péloponèse de mes statues d’airain, j’aurai (du moins je l’espère) de quoi nourrir de gâteaux carthaginois mon roquet de Syracuse. — Je prendrai un train de maison à la mode persique, avec des paons dans ma cour et des robes en pourpre d’Hermione brochées de lierres d’or, — et l’on dira : « C’est Démonassa la Corinthienne qui est revenue