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première version

les yeux, mais j’avalais toujours, car c’était bon. Bouillant de plus en plus et me pressant les côtes, le lac immense me brûlait, m’étouffait. Je voulais fuir, je ne pouvais remuer ; je fermais la bouche, — il fallait la rouvrir ; — et alors d’autres choses d’elles-mêmes s’y précipitaient, tout me gargouillait dans le ventre, tout me clapotait aux oreilles. Je hurlais, je râlais, je mangeais !… pouah ! pouah ! j’ai envie de me briser le crâne contre les pierres, pour me débarrasser de ma pensée !

ANTOINE, se fustigeant.

Aïe !… n’importe ! pas de lâcheté… Oh là !… tiens, pécheur ! tiens ! souffre donc ! pleure donc ! crie donc !… Encore, crie !… crie !… Eh bien ?… Je compterai jusqu’à cent ! jusqu’à mille !

Il s’arrête.

Non, tu ne me vaincras pas, faiblesse de la chair !… Saigne, saigne !

Il recommence.

Mais !… je ne sens plus rien ! Les piquants, sans doute, s’accrochent à ma tunique ?

Il défait sa robe qui tombe jusqu’à sa ceinture. Il reprend sa flagellation, les coups résonnent.

Bon ! sur la poitrine ! dans le dos ! sur les bras ! sur les reins ! sur le visage ! J’ai besoin de battre ! cela m’assouvit ! plus fort donc !… Oh ! oh ! oh !…