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III
préface

et tendu, comme celui d’une grue, faisant un coude vers la nuque, — clavicules saillantes, — lui présente un plat chargé de mets coloriés. — Homme à cheval dans un tonneau, bêtes sortant du ventre des animaux, grenouilles à bras et sautant sur les terrains. — Homme à nez rouge, sur un cheval, entouré de diables. — Dragon ailé qui plane. Tout semble sur le même plan. Ensemble fourmillant, grouillant et ricanant d’une façon grotesque et emportée, dans la bonhomie de chaque détail. — Ce tableau paraît d’abord confus, puis il devient étrange pour la plupart, drôle pour quelques-uns, quelque chose de plus pour d’autres. Il a effacé pour moi toute la galerie où il est. Je ne me souviens déjà plus du reste.


Il est évident que cette peinture, un peu indigente dans sa bizarrerie, ne fournit pas grand’chose à l’imagination de Flaubert. Pourtant, ce lui fut une véritable révélation. Du coup, sa conscience d’artiste entrevit le parti merveilleux qu’il pouvait tirer d’une semblable donnée. Et, pour quiconque est un peu familier avec la pensée et l’âme du maître, il est évident encore qu’il y avait entre lui et le type légendaire de saint Antoine une affinité plus ou moins lointaine qui dut vivement le frapper.

Mais cette révélation, comme il arrive toujours, ne fit probablement que lui éclairer tout un travail obscur de germination qui s’était opéré en lui, sans qu’il en eût conscience. Flaubert enfant