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laissait caresser comme un pacha, et l’appelait « fille du peuple » par manière de rire. Elle lui apportait chaque fois de petits bouquets de violettes. Frédéric n’aurait pas voulu d’un tel amour.

Cependant, lorsqu’ils sortaient, bras dessus bras dessous, pour se rendre dans un cabinet chez Pinson ou chez Barillot, il éprouvait une singulière tristesse. Frédéric ne savait pas combien, depuis un an, chaque jeudi, il avait fait souffrir Deslauriers, quand il se brossait les ongles, avant d’aller dîner rue de Choiseul !

Un soir que, du haut de son balcon, il venait de les regarder partir, il vit de loin Hussonnet sur le pont d’Arcole. Le bohème se mit à l’appeler par des signaux, et, Frédéric ayant descendu ses cinq étages :

— « Voici la chose : C’est samedi prochain, 24, la fête de Mme Arnoux. »

— « Comment, puisqu’elle s’appelle Marie ? »

— « Angèle aussi, n’importe ! On festoiera dans leur maison de campagne, à Saint-Cloud ; je suis chargé de vous en prévenir. Vous trouverez un véhicule à trois heures, au Journal ! Ainsi convenu Pardon de vous avoir dérangé. Mais j’ai tant de courses. »

Frédéric n’avait pas tourné les talons que son portier lui remit une lettre :

« Monsieur et Madame Dambreuse prient Monsieur F. Moreau de leur faire l’honneur de venir dîner chez eux samedi 24 courant. — R. S. V. P. »

— « Trop tard », pensa-t-il.

Néanmoins, il montra la lettre à Deslauriers, lequel s’écria :

— « Ah ! enfin ! Mais tu n’as pas l’air content. »

— « Pourquoi ? »

Frédéric, ayant hésité quelque peu, dit qu’il avait le même jour une autre invitation.

— « Fais-moi le plaisir d’envoyer bouler la rue de Choiseul. Pas de bêtises ! Je vais répondre pour toi, si ça te gêne. »